Rébus
«Rébus» d'Alexandra Saemmer est un poème animé formé de trois lignes de cinq carrés, chaque carré étant constitué par des fragments de photos ou de textes1Je m'inspire pour cette analyse du travail réalisé par Everardo Reyes lors du cours Sémiotique des interfaces du Master 2 Pratiques Textuelles Numériques de l'Université Paris 8 (Reyes, 2015)..
Le contenu des carrés s'anime soit automatiquement, soit au survol de la souris. Dans «Rébus», l'internaute ne peut établir un lien tangible entre l'animation du texte et des images, et le mouvement qu'il exerce sur sa souris, à l'inverse des «productions numériques industrielles [où] la manipulation est souvent mobilisée comme moyen de guidage2Réponse formulée par Alexandra Saemmer lors d'un entretien mené à propos de «Rébus»». Lors d'un entretien mené avec l'artiste à propos de l'oeuvre, Alexandra Saemmer reconnaît d'ailleurs: «Je voulais que le fonctionnement technique échappe au lecteur: influence-t-il le déroulement de l'animation par ses interactions? Précipite-t-il l'apparition et la disparition des textes et images? Peut-il arriver à reconstruire une unité à partir des images? L'enjeu consiste-t-il à mettre les textes dans un ordre précis? Le lecteur patient constatera qu'il manque toujours une pièce pour que le rébus puisse faire tout à fait sens. Je voulais que ce sens s'échappe, fuie en permanence entre les doigts.»
En effet, il est impossible pour l'internaute de recomposer la photographie dans son intégralité, attirant son attention sur l'incomplétude de l'oeuvre et la technicité d'un dispositif qui lui échappe sans cesse.
L'unité de «Rébus» est cependant perceptible au niveau des thèmes et de la forme convoqués. Si le titre de l'oeuvre renvoie aux réflexions artistiques et théoriques de l'auteur sur les relations texte-image3Voir par exemple Saemmer, 2007., Alexandra Saemmer choisit également d'explorer une autre forme hybride: le haïku. L'inspiration au haïku est manifeste à travers les références à une saison (l'hiver) et au voyage (un séjour en Norvège), et à travers la brièveté des textes et la structure d'ensemble de l'oeuvre (trois lignes de cinq carrés quand la traduction occidentale du haïku prend souvent la forme de trois vers de 5/7/5 syllabes). Cependant, c'est tout le dispositif de «Rébus» qui entre en résonance avec le haïku: les espaces blancs entre les rectangles instaurent une scène fragmentaire, tout comme le rythme de l'animation qui interrompt la lecture des textes et des images toutes les demi-secondes environ. Enfin, avec «Rébus», le lecteur est invité à éprouver une forme d'évanescence à travers l'animation et la manipulation du poème, mais aussi à travers le logiciel mobilisé pour créer l'oeuvre. En effet, «Rébus» a été programmée avec Flash qui est un logiciel en voie de disparition4Flash n'est déjà plus reconnu par le navigateur Google Chrome. Alexandra Saemmer reconnaît que c'est justement le «côté immaîtrisable» du logiciel qui l'intéresse: «la vitesse de l'animation n'est pas pré-programmée, mais calée sur la vitesse d'exécution de la machine sur laquelle le poème est actualisé. Avec les années, l'animation accélère de plus en plus. Sans doute les textes seront bientôt illisibles. Cette idée d'une «disparition programmée» me plaît beaucoup.5Réponse formulée par Alexandra Saemmer lors d'un entretien mené à propos de «Rébus»» Mandelbrot, le site d'Alexandra Saemmer et de Bruno Scoccimaro, a d'ailleurs quitté le web quelques semaines en 2015 pour réapparaître, actualisé, à une nouvelle adresse.